dimanche 24 janvier 2010

L’organisation de l’aide

Loetitia Raymond
24 janvier 2010


Depuis plusieurs jours où j’assiste à des distributions, je suis étonnée par la fluidité et l’ordre dans lequel elles se passent. Une distribution en situation d’urgence est toujours un moment délicat. Souvent, les personnes attendent depuis des jours ce qui leur permettra d’améliorer leur quotidien. Au fil du temps des tensions peuvent surgir, les sinistrés s’impatientent, et à juste titre. Quand on a tout perdu et que l’on est sur le point de recevoir de la nourriture, un abri ou de quoi se laver, on se bat pour être certain de récupérer son dû.

La préparation des distributions est donc une étape capitale. Il faut d’abord identifier les lieux, recenser les familles, discuter avec les autorités locales pour s’assurer de leur collaboration, obtenir l’accord de la présence des forces de l’ordre. Nous informons ensuite des représentants des sites pour leur expliquer comment va se dérouler l’opération. Plus les personnes sont informées, moins il y a de place aux interrogations, et donc à la peur et toutes les dérives qui en découlent. « Nous préparons le terrain, expliquons aux gens comment la distribution va se passer, pourquoi nous ferons d’abord passer les femmes enceintes, les handicapés, les personnes âgées. Nous leur disons aussi que le ticket que nous leur avons remis servira à d’autres distributions, cela les rassure et laisse entendre que nous reviendrons, que notre aide ne s’arrête pas là. Cela crée un climat rassurant, indispensable au bon déroulement des opérations » explique Gary Philoctète, Directeur des Programmes à CARE Haïti.

La distribution de kits d’hygiène place Saint Pierre illustre parfaitement la nécessité d’une telle préparation préalable : en moins d’une heure, CARE a distribué pas moins de 870 kits, des brosses à dent, du savon, des serviettes hygiéniques, du papier toilette, de la lessive aux femmes de la place. A Leogane alors que nous procédions à la première distribution que ces populations voyaient arriver, pas un seul incident n’a été notifié. « L’ensemble de ces précautions peut parfois provoquer des retards dans la mise en œuvre de l’acheminement de l’aide. Hier encore à Sainte Thérèse, nous avons décalé la distribution de plusieurs heures puisque les policiers qui devaient encadrer notre travail étaient tous mobilisés pour sécuriser l’ouverture des banques du quartier. Nous préférons reporter une opération plutôt que de la mettre en danger, » avoue Gary. Les distributions mal menées peuvent vite propager un climat d’insurrection dans la ville : il suffit que le ton monte pour laisser passer une femme enceinte coincée dans la foule, que les esprits s’échauffent, un geste puis un autre et les centaines ou quelques milliers de personnes qui font la queue ont vite fait de se transformer en poudrière. Et c’est exactement ce que nous voulons éviter. Lorsque nous avons terminé de remettre les couvertures sur le camp de Sainte Thérèse, une femme dans la foule s’étonnait de la rapidité avec laquelle tout fut déballé : « d’habitude ça prend beaucoup plus de temps, les gens se poussent, crient parfois, là c’est allé très vite et personne ne s’est battu ». Et c’est tant mieux !

Cela fait plus de 55 ans que CARE est présent à Haïti, autant d’années d’expérience qui donnent aux équipes une véritable connaissance du terrain. Depuis tout ce temps CARE a dû faire face à de nombreuses urgences puisque le pays subit régulièrement des catastrophes climatiques, des famines. Et même si les équipes ne sont pas à l’abri d’un dérapage inhérent à ce type de contexte, elles sont préparées, rodées. Ca s’appelle de l’expérience, ça s’appelle du professionnalisme.

jeudi 21 janvier 2010

Eau salubre

CARE Haïti
Rick Petera
18 janvier 2010

Blondine Jean-Baptiste agite une spatule tel une baguette magique. En effet, elle était magique car l’eau crasseuse brunâtre devint limpide et brillante devant ses yeux, alors que la vase se rassembla au fond d’un immense seau de plastique pouvant contenir 20 litres. D’une voix forte, en créole, sa collègue Edline Cothière lui lisait les instructions.

Les deux infirmières sont bénévoles dans les ruines de l’auditorium adventiste au cœur de Port-au-Prince, où se retrouvent 600 personnes blessées et sans-abri. La direction de la protection civile tente par tous les moyens de pourvoir à leurs besoins.

Une foule, majoritairement composée de femmes, prend connaissance avec soulagement du communiqué mentionnant que l’eau contenue dans le réservoir, bien que limitée est potable et bonne à boire.

Docteur Franck Geneus, le coordonnateur du programme de santé de CARE Haïti, observe les femmes à l’oeuvre. Quelques minutes auparavant, il leur a donné un cours intensif sur la façon de purifier l’eau, utilisant une méthode très simple mise de l’avant par CARE : un simple petit sachet de poudre capable de purifier 10 litres d’eau.

« L’équipe de CARE forment les bénévoles afin que ceux-ci puissent en former d’autres à leur tour pour distribuer les petits sachets d’une façon ordonnée et minutieuse aux familles présentes en s’assurant de prioriser ceux qui en ont urgemment besoin » explique le Docteur Geneus. « C’est la façon la plus rapide et efficace de rejoindre un grand nombre de personnes ».

« L’eau salubre est crucial pour les survivants du terrible tremblement de terre du 12 janvier, mais spécialement pour les femmes enceintes, les nouvelles mamans, et les petits enfants, » ajoute-t-il. « Nous sommes inquiets que les femmes ne puissent poursuivre l’allaitement si elles ne boivent pas suffisamment d’eau pour elles-mêmes. Les risques sont énormes pour la santé des nouveaux-nés. »

Même en temps normal les femmes sur le point d’accoucher en Haïti courent un grand risque. 670 femmes sur 100 000 meurent pendant leur grossesse ou au moment de l’accouchement, un taux soixante fois plus élevé que dans un pays industrialisé comme les États-unis1. Avec la situation actuelle, les interventions urgentes et les traumatismes deviennent prioritaires, ainsi les soins prénataux et même les accouchements sécuritaires deviennent un luxe que peu de femmes ici peuvent trouver.

mardi 19 janvier 2010

La distribution est débutée à Léogane

Dernières nouvelles de Patrick Solomon, premier vice-président, Services de soutien mondiaux de CARE USA
19 janvier 2010

La distribution est débutée à Léogane. Les choses se font dans l’ordre, surtout grâce à ce qui a été fait au préalable par le personnel CARE qui était déjà en relation avec le maire et d’autres membres de la communauté. Ce matin, nous avons longuement discuté avec les leaders de la communauté, puis avec le comité de logistique. Ils souhaitaient vivement s’impliquer et ont eux-mêmes conçu une façon de procéder à la distribution.

Elle s’est effectuée dans le stationnement d’un bâtiment de télécommunications où se sont installées les autorités municipales depuis la destruction de leur bâtiment. La collaboration entre la communauté (incluant les scouts et les guides) et CARE fut fantastique.

Les dirigeants de la communauté avaient remis des coupons aux participants dans les camps. Quand tout fut prêt, ces derniers vinrent au bâtiment où les scouts et les guides les escortaient jusqu’au camion où s’effectuait la distribution. Ils remettaient leurs coupons au personnel CARE qui collaborait avec l’équipe communautaire, incluant les scouts et les guides. On inscrivait alors sur le coupon l’article qui leur avait été remis pour qu’ils ne puissent le recevoir deux fois. Lorsqu’ils avaient reçu les articles, on les escortaient vers une sortie loin de l’entrée, permettant ainsi de mieux maîtriser la foule.

Les gens qui recevaient les articles destinés à leur famille ne semblaient ni souffrir de malnutrition ni être blessés, mais certains avaient besoin qu’on les soutienne pour marcher en compagnie des scouts et des guides. Ceux qui venaient représentaient leur famille. Plusieurs de ceux qui sont venus avaient de la crème sur le nez, probablement pour éviter de sentir les odeurs nauséabondes.

Tous semblaient vraiment apprécier l’aide que CARE leur offrait. Le travail effectué par CARE et la communauté était un merveilleux exemple de partenariat. Aujourd’hui, nous avons débuté la distribution de 1500 bidons et de 1200 trousses d’hygiène. Nous avons aussi consolidé les plans de trois citernes qui seront installées demain. Nous avons prévu de continuer à nous concentrer sur cette communauté et d’augmenter la distribution des articles ici.

Ce matin, alors que nous étions en route vers Léogane, nous avons vu des cadavres sur la route qui n’y étaient pas hier. Cela nous rappelait douloureusement les répercussions tragiques de ce tremblement de terre et le fait que beaucoup de personnes n’aient pas encore été retrouvées. Juste avant de procéder à notre distribution, je suis allé tout près d’ici où une autre organisation distribuait des vivres. Contrairement à nous, ils avaient fait appel aux casques bleus pour maintenir l’ordre. Ceci étant dit, bien que les tensions aient été légèrement plus grandes, je n'ai pas constaté de problème.

Ne vous y méprenez pas…nous avançons !

Loetitia Raymond
Port-au-Prince
19 janvier 2010 Hans 34730652

Depuis une semaine des centaines de camps de fortunes ont tristement fleuri le parterre des trottoirs de Port-au-Prince et de ses environs. Sans logement et sans aucune source de revenu pour la plupart, les sinistrés ont besoin de l’aide internationale pour survivre. Depuis mon arrivée dans les bureaux de CARE Haïti, transformé en camp de fortune pour certains des employés qui ont perdu leur maison, je découvre une équipe admirablement engagée et mobilisée, alors que bon nombre d’entre eux ont perdu leur habitation, parfois des membres de leur famille. De 7h du matin à 22h pour certains, 7j sur 7, chacun tente de faire face à l’envergure des besoins pour mettre en place l’aide à la population.

D’un côté j’assiste à une formidable mobilisation et au courage de tout un peuple, à l’engagement des ONGs qui n’ont qu’un objectif : sauver des vies, venir en aide au plus vite à ceux qui ont tout perdu. De l’autre, j’entends gronder les doutes, les remises en question de ceux qui sont loin, de ceux qui n’imaginent pas, puisque personne ne peux imaginer.

J’entends les interrogations autour d’une éventuelle lenteur de l’acheminement de l’aide. Il est vrai que l’exceptionnel élan de générosité des citoyens à travers le monde pourrait laisser croire que nous serions à même de montrer rapidement les images tant attendues : des tonnes de nourriture, de vêtements, des biens de première nécessité distribués en masse. Mais le chaos dans lequel règne le pays et la ville transforment chaque opération, chaque action en une équation à mille inconnues. Comment acheminer l’aide en temps de pénurie d’essence ? Comment assurer la sécurité des distributions alors que les haïtiens n’ont pas eu de quoi se nourrir depuis des jours ? Les distributions se font sous haute surveillance car il est illusoire de croire que l’on peut arriver dans un camp de 6000 personnes, sans nourriture depuis une semaine, sans encadrer un tant soit peu l’opération ! Comment trouver des salariés, des chauffeurs, des gardiens, mais aussi des logisticiens, des assistants administratifs, des secrétaires en un temps record ? Comment louer des camions, trouver les biens de première nécessité à distribuer tandis qu’il ya pénurie de tout et que nous avons besoin de tout ? Trouver ne serait-ce que des stylos ou du papier pour les bureaux peut prendre des heures. Il en va de même pour se procurer des téléphones, outils de communication indispensables à notre travail. Sans compter que les réseaux sont saturés. Or nous sommes des centaines, des milliers d’organisations faisant face aux mêmes besoins !! Comment déblayer les rues alors qu’il manque d’outils ? Comment suivre la trace des déplacés internes qui fuient la capitale et leur apporter l’aide nécessaire ?

Est-ce que nous avons des difficultés de coordination ? Bien sûr !!! Et ce n’est pas faute de tout mettre en œuvre pour ne pas dupliquer nos efforts, ne pas oublier des communautés. Les ONGs et autres instances internationales, les représentants des institutions se réunissent quotidiennement pour coordonner la réponse à l’urgence. Mais imaginez la difficulté à prendre des décisions dans un pays dont les institutions ont été en partie décimées…

Nous faisons certes face à un défi logistique mais nous y sommes toutefois préparés ! CARE établit chaque année un plan de préparation aux urgences dans lequel nous définissons des scénarii possibles selon les risques auxquels sont exposés le pays. Nous savons quelles sont les actions à mettre en place dans les premières 24h, après 48h et ainsi de suite.

Alors si l’aide semble arriver moins vite que l’on pourrait le souhaiter, c’est parce que les ONGs sont confrontées à des contraintes extrêmement complexes, et que l’on sait d’expérience qu’une réponse bien menée ne peut se faire sans respecter un certain nombre d’étapes. Dans les bureaux de CARE, tous s’affèrent avec volonté et professionnalisme. Point par point les équipes font en sorte d’apporter des solutions, lister des priorités. Depuis 4 jours je vois peu à peu la générosité de tous nos donateurs à travers le monde prendre corps en actions concrètes. Je vois CARE distribuer de l’eau, de la nourriture, des matelas, des kits d’hygiène, des pelles…Et ça ne fait que commencer. Puisque nous serons à leurs côtés pour des années.

lundi 18 janvier 2010

Main dans la main avec les autorités et les communautés locales

Loetitia Raymond
Port-au-Prince - 18 janvier 2010


Il ya encore quelques jours, la place Saint Pierre était connue pour ses artistes de peinture naïves qui exposaient des centaines de tableaux aux couleurs chatoyantes. Les tableaux ont laissé place à un palimpseste de couleurs désolantes, celles des milliers de sans- abri entassés sur quelques centaines de mètres carrés.


Des tentes, des matelas de fortune en carton, des vêtements qui sèchent accrochés aux arbres, des enfants, des jeunes, des moins jeunes, près de 6000 personnes s’entassent sur la place dans une promiscuité insoutenable.

Si on estimait à 3000 le nombre des délogés sur le site, au fil des jours ils ne cessent d’arriver par centaines.

Claire Lydie Parent, Maire de la commune de Pétionville avec laquelle nous avons rendez-vous ce matin pour proposer notre soutien, nous explique le phénomène : « Les gens ont peur, les rumeurs de tsunami, la crainte d’un autre tremblement de terre font parfois fuir ceux qui ont encore un logement ».

Audrée Montpetit et Gary Philoctète sont venus appuyer cette communauté qui s’est montrée particulièrement volontaire dans la prise en charge de ses propres besoins. Il s’agit de mettre en place des solutions en concertation avec les autorités qui ont déjà commencé à déblayer les amas de détritus. La première demande concerne effectivement l’évacuation des déchets qui va rapidement entraîner des risques sanitaires. « Il faut aussi des outils pour faire le travail, des masques, des pelles. Nous pouvons avoir toutes les bonnes volonté de la terre, les mains ne suffiront pas » explique Madame Lydie Parent.

Il faudra aussi former des équipes de volontaires vivant sur le site pour effectuer le travail. Nous leur proposons de plus de former des équipes de sensibilisation à l’hygiène afin de prévenir des maladies dues à une telle promiscuité. L’implication des sans-abris est essentielle, elle leur permet aussi de sortir de leur statut de victime pour être à nouveau des acteurs de la reconstruction de leur propre vie. A ce propos, Madame Lydie Parent souligne l’importance d’un soutien psychologique, beaucoup de personnes ne comprennent pas ce qui s’est passé, qu’est-ce qu’un tremblement de terre, il faut rationaliser ce qui s’est produit pour ne pas se laisser aller à des mouvements de panique.

Nous convenons donc de distribuer dans un premier temps des brouettes, des balais, des pelles. Nous installerons aussi un réservoir d’eau puisque comme pour tous les habitants de la ville, ils manquent d’eau. Quand ?
La réunion aura duré moins de 30 mn, suffisamment pour parvenir, de façon coordonnée, à identifier les besoins. Demain le matériel sera livré et le travail pourra commencer !

dimanche 17 janvier 2010

Être là jusqu’à la fin

CARE Haïti
Rick Perera

17 janvier 2010 – 17 h

On l’appelle l’Hôpital de la Paix - mais cet hôpital imposant et débordé est loin de ressembler à un havre de paix. Comme il est le seul établissement de santé de Port-au-Prince à avoir été épargné par la tragédie, le nombre de blessés graves qui s’y trouvent dépasse l’entendement.

Le stationnement devant l’édifice de béton de deux étages est remplis de blessés qui sont soit couchés sur des matelas ou des sommiers (personne ne dispose des deux), soit sur des couvertures, du gazon clairsemé ou même le trottoir, exposés au soleil brûlant. Quelques personnes sont penchées vers des blessés, pour tenter de les réconforter ou pour tenir leur sac à perfusion. Toutefois, beaucoup sont seuls. Dans cette ville assiégée, pratiquement tout le monde a perdu quelqu’un – certains leur famille entière.

Ceux qui sont capables de marcher s’agglutinent devant la porte principale, attendant leur tour, alors que deux bénévoles tiennent une corde pour contrôler les va-et-vient. Dès qu’une personne de physionomie étrangère arrive, les portiers la lasse entrer : si quelqu’un est en mesure d’aider d’une façon ou d’une autre, il est le bienvenu. Les brancardiers se font un chemin en criant : « Excusez ! Excusez ! » Deux hommes portent une femme grimaçante sur un bureau provisoirement transformé en civière. Les personnes en ligne s’écartent pour laisser passer une housse mortuaire.

Le personnel d’urgence, qui comptent entre autres des docteurs cubains et des techniciens en soins médicaux d’urgence catalans, se rassemble près de la porte. La plupart d’entre eux font ce qu’ils peuvent pour apaiser la douleur, mais il n'y a pas vraiment de coordination générale. Quelques-uns qui viennent tout juste d’arriver sont assis et discutent ensemble en attendant de savoir ce qu’on attend d'eux ; on prend une photo d’un groupe de pompiers français. Quand des patients arrivent, on procède immédiatement à leur évaluation, puis ils attendent que des soins leurs soient prodigués, adossés au mur ou allongés sur le sol. Un bref diagnostique est collé sur la poitrine de certains à l’aide de ruban adhésif, griffonné rapidement en espagnol sur des feuilles lignées.

Le directeur des programmes de santé de CARE, le Dr Franck Geneus, se dirige vers les bureaux administratifs de l’hôpital. Il parle brièvement avec une religieuse qui connaît un peu la situation – mais il n’y a pas vraiment de responsable. En venant ici, notre mission était de fournir des produits chimiques pour assainir l’eau et la rendre potable, mais cela devra attendre : si nous distribuons le matériel maintenant, il est fort probable qu’il se perde en raison du chaos. Nous devons concentrer notre aide aux endroits où elle sera la plus efficace.

Au cœur de l’hôpital triste et mal éclairé, des lits s’alignent le long des corridors qui entourent une cour intérieure. La plupart des patients, dont certains sont étendus à demi-nus et silencieux, sont trop épuisés pour gémir. L’odeur de la mort est partout. « Peu importe ce que l’on fait, les vêtements conservent cette odeur. Il faut les jeter » dit Evelyn, une collègue photographe pour CARE qui a œuvré, entre autres, au Darfour et en République Démocratique du Congo. Elle hausse ironiquement les épaules.

Toutefois, Evelyn n’est pas une cynique endurcie. Quelques minutes plus tard, elle émerge de la salle commune improvisée les yeux remplis de larmes. Elle a regardé une vieille religieuse espagnole offrir l’extrême onction à un homme incapable de parler. Il peut bouger une jambe. Quand la religieuse lui demande s’il sait qu’il va mourir, il fait signe que oui. Alors qu’Evelyn raconte l’histoire, nous regardons l’endroit où l’homme est toujours étendu. Un drap bleu recouvre maintenant sa tête.

Il avait des blessures internes importantes et avait perdu beaucoup de sang, nous dit-elle doucement. Il ne pouvait pas survivre. « Estaba listo. Estaba en paz. » Il était prêt. Il était en paix.

Pourquoi l’aide ne parvient-elle pas plus rapidement

CARE Haïti
Rick Petera
17 janvier 2010

Les journalistes me posent toujours la même question : pourquoi l’aide ne parvient-elle pas plus rapidement à ces populations désespérées? Voici la réponse : les travailleurs humanitaires avancent aussi vite que possible, mais les conditions sont effroyables. Haïti n’a jamais vécu de catastrophe de cette amplitude dans les temps modernes. D’abord, ce pays est déjà terriblement pauvre, et au lendemain de tant de désastres dans les années récentes, la population et l’infrastructure n’étaient nullement préparées à y faire face.

« C’est toujours très difficile dans les premiers jours, déclare Sophie Perez, directrice de pays de CARE en Haïti, qui a pris part maintes fois à des efforts de secours en Haïti, notamment au lendemain d’ouragans et d’agitations politiques. L’aide ne doit pas seulement parvenir rapidement, elle doit être adaptée. Si nous nous contentons de distribuer le matériel sans une organisation adéquate, il peut en résulter un chaos, de la violence, et des pertes de vies humaines.»

Sophie est confiante qu’avec des ressources suffisantes et une coordination des efforts, CARE et les autres protagonistes humanitaires seront en mesure de rejoindre ceux qui nécessitent une aide urgente. Mais elle se préoccupe de la situation à long terme. « Qu’arrivera-t-il lorsque l’attention des médias sera détournée? ». La relève prendra des années aux Haïtiens – et ils auront besoin de plus d’appui s’ils désirent mieux reconstruire, plutôt que de recréer des conditions qui les maintiendraient dans une vulnérabilité aux futurs désastres.

La reconstruction ne se limite pas à rebâtir l’infrastructure, ajoute-t-elle, mais à cibler les causes sous-jacentes de la pauvreté, de la gouvernance déplorable à l’éducation et à la dégradation environnementale. CARE œuvre en Haïti depuis 1954 et s’est engagé à y demeurer aussi longtemps que notre présence sera nécessaire.

« Le long terme coûtera mille fois plus que le secours immédiat, dit-elle. J’espère sincèrement que le monde n’oubliera pas Haïti une fois que l’attention initiale s’estompera.»