dimanche 17 janvier 2010

Être là jusqu’à la fin

CARE Haïti
Rick Perera

17 janvier 2010 – 17 h

On l’appelle l’Hôpital de la Paix - mais cet hôpital imposant et débordé est loin de ressembler à un havre de paix. Comme il est le seul établissement de santé de Port-au-Prince à avoir été épargné par la tragédie, le nombre de blessés graves qui s’y trouvent dépasse l’entendement.

Le stationnement devant l’édifice de béton de deux étages est remplis de blessés qui sont soit couchés sur des matelas ou des sommiers (personne ne dispose des deux), soit sur des couvertures, du gazon clairsemé ou même le trottoir, exposés au soleil brûlant. Quelques personnes sont penchées vers des blessés, pour tenter de les réconforter ou pour tenir leur sac à perfusion. Toutefois, beaucoup sont seuls. Dans cette ville assiégée, pratiquement tout le monde a perdu quelqu’un – certains leur famille entière.

Ceux qui sont capables de marcher s’agglutinent devant la porte principale, attendant leur tour, alors que deux bénévoles tiennent une corde pour contrôler les va-et-vient. Dès qu’une personne de physionomie étrangère arrive, les portiers la lasse entrer : si quelqu’un est en mesure d’aider d’une façon ou d’une autre, il est le bienvenu. Les brancardiers se font un chemin en criant : « Excusez ! Excusez ! » Deux hommes portent une femme grimaçante sur un bureau provisoirement transformé en civière. Les personnes en ligne s’écartent pour laisser passer une housse mortuaire.

Le personnel d’urgence, qui comptent entre autres des docteurs cubains et des techniciens en soins médicaux d’urgence catalans, se rassemble près de la porte. La plupart d’entre eux font ce qu’ils peuvent pour apaiser la douleur, mais il n'y a pas vraiment de coordination générale. Quelques-uns qui viennent tout juste d’arriver sont assis et discutent ensemble en attendant de savoir ce qu’on attend d'eux ; on prend une photo d’un groupe de pompiers français. Quand des patients arrivent, on procède immédiatement à leur évaluation, puis ils attendent que des soins leurs soient prodigués, adossés au mur ou allongés sur le sol. Un bref diagnostique est collé sur la poitrine de certains à l’aide de ruban adhésif, griffonné rapidement en espagnol sur des feuilles lignées.

Le directeur des programmes de santé de CARE, le Dr Franck Geneus, se dirige vers les bureaux administratifs de l’hôpital. Il parle brièvement avec une religieuse qui connaît un peu la situation – mais il n’y a pas vraiment de responsable. En venant ici, notre mission était de fournir des produits chimiques pour assainir l’eau et la rendre potable, mais cela devra attendre : si nous distribuons le matériel maintenant, il est fort probable qu’il se perde en raison du chaos. Nous devons concentrer notre aide aux endroits où elle sera la plus efficace.

Au cœur de l’hôpital triste et mal éclairé, des lits s’alignent le long des corridors qui entourent une cour intérieure. La plupart des patients, dont certains sont étendus à demi-nus et silencieux, sont trop épuisés pour gémir. L’odeur de la mort est partout. « Peu importe ce que l’on fait, les vêtements conservent cette odeur. Il faut les jeter » dit Evelyn, une collègue photographe pour CARE qui a œuvré, entre autres, au Darfour et en République Démocratique du Congo. Elle hausse ironiquement les épaules.

Toutefois, Evelyn n’est pas une cynique endurcie. Quelques minutes plus tard, elle émerge de la salle commune improvisée les yeux remplis de larmes. Elle a regardé une vieille religieuse espagnole offrir l’extrême onction à un homme incapable de parler. Il peut bouger une jambe. Quand la religieuse lui demande s’il sait qu’il va mourir, il fait signe que oui. Alors qu’Evelyn raconte l’histoire, nous regardons l’endroit où l’homme est toujours étendu. Un drap bleu recouvre maintenant sa tête.

Il avait des blessures internes importantes et avait perdu beaucoup de sang, nous dit-elle doucement. Il ne pouvait pas survivre. « Estaba listo. Estaba en paz. » Il était prêt. Il était en paix.

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